Bonjour 👋 Dans cet article, nous allons utiliser le cas de McDonald’s pour mettre en lumière un problème commun à énormément de grandes entreprises cotées, et qui pour moi est une tendance financière de fonds.
Derrière la performance de McDonald’s
Le chiffre d’affaires de McDonald’s baisse depuis 2013.
Pourtant, l’action boursière du groupe n’a cessé de prendre de la valeur.
Plusieurs raisons permettent d’expliquer cette situation. Il y a d’abord la nouvelle stratégie de “refranchisation” du géant de la restauration. McDonald’s gère moins de restaurants qu’auparavant, et génère par là moins de revenus.
De plus, même si son chiffre d’affaires baisse, McDonald’s a continuellement amélioré ses marges au fil des années, jusqu’à atteindre une marge nette de plus de 28%. Pour la petite anecdote, le coût du McFlurry vient de passer à 4 euros, alors que son coût de fabrication est estimé à 34 centimes. Jackpot !
Mais en parallèle de cela, il y a un autre facteur crucial qui porte l’action $MCD. J’en ai apporté un début de réponse dans AL015, lorsque je me demandais s’il fallait sauver ou non les banques et les compagnies aériennes en difficulté.
Si vous vous en souvenez, Delta, American, United et Southwest ont consacré +90% de leur flux de trésorerie disponible à des rachats d’actions au cours des 10 dernières années. Elles n’ont quasiment rien laissé de côté pour faire face à une éventuelle crise, et se sont retrouvées complètement à nu lorsque la crise sanitaire est survenue.
Sans surprise, McDonald’s a fait exactement la même chose. Le groupe rachète des milliards de dollars de ses propres actions $MCD sur les marchés depuis des années.
Le groupe parvient ainsi à continuer à faire monter son cours, tout en gâtant ses actionnaires. Voici les volumes de rachats d’actions de McDonald’s depuis 2013, soit plus de 35 milliards en 7 ans.
Et voici le montant des dividendes par action depuis 2013. Les rendements n’ont cessé d’augmenter au fil des années.
Comment est-ce possible ? Grâce à la dette, bien évidemment. McDonald’s emprunte sur les marchés la majorité de l’argent nécessaire à ses opérations de buybacks et de paiements de dividendes.
Cela se traduit par ses encours de crédit en constante augmentation. Voici la dette à long-terme de la société depuis 2013.
On parle souvent de tendances sur Afterlife Labs, où on essaie de décrypter celles qui ont le plus d’influence sur notre monde [AL002].
La tendance des rachats d’actions est une tendance de fond, alimentée par la Fed.
Aujourd’hui, l’argent ne coûte presque plus rien aux Etats-Unis. Il est quasiment gratuit.
Voici les taux d’intérêts américains depuis 2013. Nous nous situons actuellement sur un taux à 0,25%.
Les taux directeurs américains sont fixés par la réserve fédérale, communément appelée FED ou Federal Reserve.
La FED a été créée en 1913. La FED décide notamment de la politique monétaire des USA et se voit assigner un double objectif : d’une part, garantir la stabilité des prix et d’autre part, assurer le plein emploi.
Le graphique ci-dessus représente le principal taux directeur de la Réserve Fédérale. C’est le taux de refinancement minimum qui permet aux établissements bancaires de se refinancer auprès de la banque centrale.
Dans une situation de taux faibles, les banques peuvent se refinancer à des coûts avantageux et ainsi proposer des crédits à des taux bas ce qui stimule l’économie par abondance de liquidités. Une situation de taux élevés a l’effet contraire et est utilisée généralement pour ralentir une activité économique en surchauffe ou contrer l’inflation.
Plus le taux d’emprunt de la Fed est bas, et moins il coûte aux sociétés d’emprunter sur les marchés. Elles utilisent ensuite ce capital pour racheter leurs propres actions et distribuer de généreux dividendes.
Qui bénéficie vraiment de ce système ?
Les 3 grands gagnants de ce système sont :
1- Les politiques qui peuvent crier haut et fort que l’économie est en excellente santé
2- Les cadres-dirigeants qui vont gagner de gros bonus à la fin de l’année
3- Les actionnaires grâce aux dividendes perçus et l’appréciation générale des cours
Et c’est ainsi qu’on se rend compte que le tout tient sur un château de cartes, et ne peut se poursuivre ainsi ad vitam æternam.
En 2019, on commençait à sentir la méfiance des investisseurs pointer le bout du nez. Les entreprises américaines trop endettées décrochaient des prêts avec un peu plus de difficultés. Mais cette situation n’a pas duré très longtemps.
Élément surprise : le coronavirus
Et puis le SARS-CoV-2 est apparu et a tout bousculé. La Fed a fait savoir qu’elle était prête à tout pour soutenir l’économie et les marchés.
Elle a commencé à acheter des obligations d’entreprises au travers du Secondary Market Corporate Credit Facility. En d’autres termes, la Fed a pris le relais dans le maintien des cours boursiers.
Aujourd’hui, la majeure partie de la demande en actions provient des entreprises elle-mêmes qui rachètent leurs propres actions. La différence avec l’an dernier est que ces entreprises sont maintenant directement financées par la Fed.
Voici un diagramme de la demande des actions américaines en 2019. Les opérations de buybacks représentent près de 40% de la demande, et la plus faible demande vient des ménages.
Même le mastodonte Apple [AL021], qui est pourtant en possession de montagnes de cash, ne se prive pas d’emprunter sur les marchés tellement le coût de l’argent est faible.
Au total, depuis 2018, Apple a dépensé plus de 200 milliards de dollars en rachats d’actions et en dividendes.
En offrant à Apple des liquidités incroyablement bon marché pour alimenter ses rachats d’actions, la Fed a donc indirectement acheté des actions d’Apple, faisant gonfler le prix de l’action $AAPL, et ce, même si Apple est déjà une entreprise prospère.
Les marchés ne sont pas si libres que cela, et la dette se voit détournée à d’autres fins que des investissements pour améliorer l’activité économique de l’entreprise.
To buyback or not?
Avec le cash à leur disposition, les entreprises peuvent investir en R&D, acheter du nouvel équipement et des technologies, acquérir d’autres entreprises, améliorer les conditions de travail, ou retourner l’argent aux actionnaires.
Si elles souhaitent distribuer une partie de ce cash à leurs actionnaires, les entreprises peuvent soit leur verser des dividendes, soit racheter leurs propres actions sur les marchés.
Ces opérations de rachat ont de nombreux avantages. Elles permettent d’être moins taxé par rapport aux dividendes qui sont considérés comme un revenu. Elles envoient également un signal fort que l’entreprise en question est confiante quant à sa future performance, et qu’elle considère même que le prix actuel de son cours est sous-évalué.
Enfin, une entreprise mature qui domine son marché peut utiliser ces opérations pour réduire son coût du capital lorsqu’elle voit moins de perspectives de croissance. Si elle n’a pas besoin d’autant de liquidités, elle peut les utiliser pour consolider sa position et s’affranchir d’une partie de ses actionnaires.
Ça, c’est en théorie. En pratique, les buybacks sont devenus un outil d’ingénierie financière.
Ils peuvent même servir à couvrir de mauvais résultats, en faisant s’envoler un cours boursier malgré des annonces négatives.
Ces opérations sont aussi devenues une aubaine pour les cadres-dirigeants, bien plus que pour les actionnaires. Car ceux-ci se mettent à vendre leurs propres actions dès l’annonce d’un buyback. Ils bénéficient ainsi du pump provoqué par cette annonce. Or, si ces dirigeants envoient le signal qu’ils croient dur comme fer en l’avenir de leur société, pourquoi vendent-ils leurs actifs au même moment ?
C’est ainsi qu’aux Etats-Unis, un débat a été lancé, pour interdire aux cadres-dirigeants de vendre leurs actions dans la foulée de l’annonce d’un rachat d’actions. D’autres idées sont aussi en train d’être étudiées. La droite voudrait empêcher les rachats massifs et trop importants, et la gauche ne permettre d’effectuer des rachats que lorsque le salaire minimum au sein de l’entreprise est à $15/h. Une manière de cadrer et de réordonner les priorités.
Et si tout s’arrêtait ?
Que se passerait-il si la Fed cessait d’acheter la dette des entreprises, ou si elle décidait d’augmenter les taux d’intérêt ?
Les entreprises seraient alors obligées de ralentir leurs rachats d’actions et les dividendes par action diminueraient considérablement. Les actions deviendraient alors moins attrayantes, en plus d’être moins soutenues artificiellement.
Suivant ce scénario, leur valeur devrait logiquement s’écrouler.
En attendant, les prix grimpent toujours plus haut. Si vous détenez des actions américaines en ce moment, c’est comme si la Fed vous rinçait. Mais pour combien de temps encore ?
L’histoire des marchés nous montre que ceux-ci finissent toujours par s’affranchir du contrôle des gouvernements, et que cela se termine souvent dans les larmes et dans le sang. Be careful!
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