Les Licornes À L’épreuve De La Crise
Dans le monde des startups, le terme de licorne désigne les entreprises valorisées à plus de 1 milliards de dollars. Comment celles-ci sont-elles affectées par la crise sanitaire actuelle ? Sont-elles capables de survivre, et à quel prix ?
Les Cas de Lime et DoorDash
Pour avoir une idée de la façon dont le COVID-19 affecte les licornes de la tech, prenons deux exemples : Lime et DoorDash.
Lime, que vous connaissez sans aucun doute puisque l'entreprise est présente en France, est une société de location de trottinettes électriques valorisée à 2,4 milliards de dollars. Ce champion de la mobilité douce est en train de faire les frais de la pandémie. En effet, Lime a cessé brutalement ses services en Europe et en Amérique, où la plupart des citoyens sont invités à rester chez eux et à limiter leurs déplacements.
Ce choc brutal de la demande est sur le point de faire chuter la valorisation de Lime de 80%. Pourquoi ? Parce que la jeune pousse en difficulté tente de lever des fonds d’urgence à une valeur réduite de 80% par rapport à sa dernière levée de fonds. Elle chercherait à obtenir des fonds représentant une valorisation de 400 millions de dollars, contre 2,4 milliards actuellement. Si cela se concrétise, Lime pourrait ainsi quitter le club très privé des licornes (Presse-citron).
Quant à DoorDash, une licorne américaine spécialisée dans la livraison de repas, elle s'est soudainement retrouvée extrêmement utile à une population confinée et aux restaurateurs obligés de fermer leurs salles, mais pas leurs cuisines. De manière générale, les téléchargements d'applis de livraison comme Instacart ou Shipt ont battu des records ces derniers temps, et le nombre de commandes a explosé.
DoorDash, qui est valorisée à 13 milliards de dollars, a même commencé à livrer depuis Avril 2020 des courses de magasins comme 7-Eleven ou Circle K, en plus des repas de restaurants.
Sur le papier, DoorDash devrait bénéficier financièrement de la pandémie et Lime en souffrir. Mais en réalité, la pandémie actuelle arrive à un moment critique pour les 450 licornes du monde. Les investisseurs ont de plus en plus de doutes sur les valorisations exubérantes de ces startups. Leurs business models perpétuellement déficitaires et basés sur la croissance à tout prix au lieu de la rentabilité sont de plus en plus remis en question [AL003].
Cependant, ces doutes et cette méfiance ont commencé bien avant le SARS-CoV-2, et bien avant que l’Amérique ne déclare l’état d’urgence national le 13 mars 2020.
Les Licornes Font Faillite
En fait, l’euphorie a commencé à refluer en 2019. Tout d’abord, en mai, la grande IPO d’Uber s'est déroulée avec un rabais de 30% par rapport à ce que les banques d'investissement avaient promis. Cette introduction en bourse, qui a fait couler beaucoup d’encre, la plus importante en cinq ans, a jusqu'ici été l’une des plus décevantes – et a eu la rare particularité de chuter dès son premier jour de négociation.
Aujourd'hui, la capitalisation boursière d'Uber est de 45 milliards de dollars, plus d’un tiers de moins que ce qu’elle était lors de son premier jour sur les marchés. Cet événement a signé pour moi la fin d'un âge d'or, car il y a de grandes chances que WeWork n'aurait pas connu la même débâcle quelques mois après, si Uber avait tenu ses promesses malgré son absence de rentabilité depuis sa création il y a 10 ans.
Les IPOs d'autres licornes comme Lyft, le principal rival d’Uber, ou Slack, un service de messagerie d’entreprise, ont aussi été décevantes. Puis, en octobre 2019, WeWork a abandonné son introduction en bourse après qu’il soit devenu clair que les investisseurs n’avaient aucun appétit pour les actions d’une entreprise qui perdait autant d’argent qu’elle générait de revenus. Sa valorisation est passée de 47 milliards de dollars à moins de 8 milliards ! On en beaucoup parlé lors de l'épisode en trois temps sur le business model de cette entreprise [AL001].
D'autres débâcles ont suivi. Brandless, un détaillant en ligne qui vendait des produits sans marque pour un montant fixe de 3$, a disparu en février. Zume, une entreprise de pizzas réalisées entièrement par des robots, a fermé son activité principale en janvier pour se concentrer sur la réalisation d'emballage de pizzas. Les deux, ainsi que WeWork, étaient soutenus par le Vision Fund de 100 milliards de dollars de SoftBank, le conglomérat technologique japonais.
En Europe, la startup britannique OneWeb de l’internet par satellite, évaluée à 3,3 milliards de dollars et également soutenue par SoftBank, a aussi déposé son bilan. Elle est à présent à la recherche d'un acheteur. Et de l'autre côté de la planète, certaines licornes chinoises ont également fait faillite, comme Tuandaiwang, un prêteur de pair à pair (P2P Lending) évalué à 1,4 milliard de dollars.
En fait, la crise sanitaire actuelle survient à un moment où beaucoup de licornes technologiques présentaient déjà des problèmes de santé sous-jacents. Elles doivent maintenant faire face à des turbulences supplémentaires, et parfois mortelles [AL016].
Un Futur de Consolidations et d’Acquisitions ?
Airbnb a vu ses réservations chuter de 40% dans les grandes villes européennes alors que la pandémie interrompait les voyages. Sa valorisation a été drastiquement revue à la baisse, à seulement 26 milliards de dollars, contre environ 40 milliards à la fin de 2019.
L'entreprise pourrait alors retarder son introduction en bourse, qui devait être la plus importante de cette année. Mais malgré l’accumulation de pertes, Airbnb est bien géré et possède des liquidités pour faire face aux turbulences. Grâce à une portée mondiale inégalée qui place une barrière extrêmement élevée à l’entrée, il est probable qu’elle fera de nouveau de l’argent une fois que les individus reprendront leurs habitudes de voyage (vers 2021).
Tous ces développements pointent vers une certitude : une grosse secousse se profile. Les entreprises qui ont le plus à perdre des mesures liées aux virus sont en train de licencier leurs employés. Juste avant les mesures de confinement, Lime a licencié 14% de son personnel et quitté une douzaine de villes. Le 27 mars, Bird, un rival, a annoncé qu’il licenciait un tiers de ses employés pour réduire ses coûts. Au total, les licornes ont réduit leur masse salariale de plusieurs milliers de personnes.
Ce n’est probablement pas la fin du retranchement stratégique. Les collaborateurs qui restent en poste voient la valeur de leurs actions diminuer et les perspectives d'une IPO se dissiper. Même les introductions en bourse les plus solides comme Airbnb sont mises en pause, le temps que la fièvre épidémique retombe et le temps d'y voir plus clair.
En attendant, le monde de la licorne est en ébullition avec beaucoup de discussions sur des fusions-aquisitions. SoftBank aurait depuis longtemps souhaité que DoorDash et Uber Eats fusionnent. La firme japonaise pourrait une fois de plus tenter de combiner Grab et Gojek, un rival en Indonésie, où une guerre des prix conduit les deux startups à perdre dans les 200 millions de dollars par mois. En Amérique, Uber peut maintenant essayer de courtiser Lyft, dont le cours de l’action a chuté plus rapidement que le sien...
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