Le Monde Des Startups Après La Crise
Les temps sont durs pour les startups. Si celles qui sont le mieux capitalisées peuvent tenir entre 12 et 18 mois sans revenus, la trésorerie de beaucoup d'autres est en train de s'assécher. Par ailleurs, les consommateurs sont sur le point de resserrer leurs dépenses. La reprise va mettre plus de temps que prévu, mais surtout, la thèse de cet épisode est que cette reprise empruntera un chemin différent. Nous ne reviendrons pas exactement là où on l'avait laissé, mais ailleurs.
Une reprise de l'économie en 3D
Les médias nous parlent de reprise en V, de reprise en U ou de reprise en L. C'est-à-dire de la capacité de l'économie à rebondir plus ou moins vite après le choc. Mais ces modèles sont en 2 dimensions seulement : ils prennent en compte le temps et la valeur, mais ignorent complètement la structure de cette reprise.
Quelles nouvelles habitudes vont être prises par les consommateurs et les entreprises après le SARS-CoV-2 ? Est-ce que les consommateurs vont vraiment dépenser comme avant, ou vont-il commencer à épargner plus ? [AL011] N'y a-t-il pas des secteurs qui risquent de redémarrer différemment ? [AL015]
En regardant les choses de loin, l'économie finira bien par reprendre, que ce soit rapidement ou lentement. Toutefois, cette reprise a de grandes chances d'être différente, et cet aspect mérite d'être pris en compte aussi. C'est cet axe Z, qui représente schématiquement la structure de l'économie, que propose Azeem Azhar, d'Exponential View. Le post-COVID sera certainement différent à bien des égards du pré-COVID.
La reprise en 3D, par @azeem
Voici des exemples qui appuient cette tri-dimensionnalité de la reprise :
● La ligue de baseball américaine (MLB) est en train d'étudier la manière d'organiser sa prochaine saison. Elle aurait l’intention de réunir ses 30 clubs en Arizona et de les faire jouer dans des stades vides de la région de Phoenix. Les équipes seraient confinées dans un hôtel et il ne leur serait permis de le quitter que pour se rendre aux stades. On passe ainsi de 28 000 spectateurs présents par match à... 0. Que ce projet aboutisse ou non, le simple fait d'étudier sa faisabilité traduit un changement de paradigme notable.
● Les grosses conférences sont en train de passer en ligne. Nous avions déjà abordé la tendance du remote dans [AL012]. La conférence CogX qui accueilli 16 000 personnes en 2019, a annoncé que son édition 2020 serait virtuelle et accueillerait le double. Des milliers de conférences empruntent la même voie, et certaines vont plus loin en tirant parti de la réalité virtuelle (VR). Les cours en amphithéâtre sont dématérialisés, les cours de sport avec coach se déroulent durant cette période de confinement sur Zoom, et dans mon domaine, je vois de plus en plus de hackathons virtuels se tenir.
Une des salles de conférences de Laval Virtual World, qui ouvrira ses portes du 22 au 24 avril.
● La confiance du consommateur est en train de s'éroder. Il se pourrait bien que la moitié des dépenses habituelles soit tout simplement coupée. Lors de chaque récession, les consommateurs repoussent les dépenses non essentielles comme l’achat d'une nouvelle voiture, privilégiant par là l'épargne. Celle-ci apporte un réconfort psychologique et rassure, et permet de mieux anticiper une aggravation de la crise actuelle. Cette situation fragilise encore plus certaines startups, qui seront obligés de se réinventer.
Il y aura donc des changements structurels certains, plus ou moins pérennes, couplés à une dépense resserrée des consommateurs sur les prochains mois. On en voit déjà les prémisses en Chine après le dé-confinement. Le choc du coronavirus accentue les changements structurels.
Zeitgeist et résilience
Je voudrais introduire une matrice simple qui permet de cartographier les startups en fonction de deux aspects. D'un côté, en fonction de la résilience de la startup, qui est mesurée principalement par sa capacité à survivre au cours des 24 prochains mois. Combien d'argent possède-t-elle ? Quel est son burn rate ? Quel est l'impact de la corona-crise sur son secteur ?
De l'autre, il s'agit d'évaluer la capacité de la startup à être dans le zeitgeist, c'est-à-dire dans l'ère du temps. C'est sa capacité à répondre aux besoins du moment. Certains secteurs devraient connaître des reprises sans douleur. Pour d'autres, si la reprise se produit, ces secteurs se reconfigureront radicalement.
Nuro
Nuro est une startup avec un fort product-zeitgeist. L'entreprise fait de la livraison sans contact, en développant des sortes de buggies de livraison autonomes. Complètement dans l'ère du temps. Les startups qui rendent possibles la télémédecine et les téléconsultations aussi.
Azeem Azhar a utilisé cette matrice pour créer des clusters de startups face à la crise sanitaire actuelle. Quels sont ces 4 clusters ?
1- Le Futur
Dans le coin supérieur droit, il y a toutes les startups qui représentent l'avenir. Ces startups sont résilientes ET pertinentes. Elles s'apprêtent à passer des mois douloureux, et elles devront peut-être même procéder à une nouvelle levée de fonds. Mais elles en ressortiront plus fortes et plus efficaces, et surtout, elles émergeront dans un marché qui est prêt à bien payer pour leurs offres.
Edit du 10/04/2020 : Airbnb vient de lancer des Expériences virtuelles en ligne via Zoom. Il s’agit pour la marque d’un nouveau moyen de se rencontrer, de « voyager virtuellement » et de gagner des revenus pendant la crise du COVID-19. Plus de points zeitgeist pour l'entreprise ! (Source)
2- Les Deuxièmes Chances
Dans le coin inférieur droit se trouvent les startups avec beaucoup de cash et éventuellement des franchises solides. Cependant, la prémisse de ces sociétés peut être ébranlée par la direction que va prendre notre économie dans l'axe Z. Ces entreprises sont peut-être moins pertinentes aujourd'hui, mais elles ont une réelle seconde chance. Un pivot rapide et réfléchi les aiderait à repenser la façon dont elles fournissent leurs services pour s'inscrire dans l'ère du temps.
3- Priorité Survie
Dans le coin supérieur gauche se trouvent les startups dont la pertinence est réelle, mais dont le bilan est faible. De nombreuses entreprises de biotechnologie, de santé, de télétravail ou des fintech font partie de ce cluster. Ces startups sont à court de cash et devront se battre pour survivre. La bataille est surtout opérationnelle, et elle en vaut la peine.
4- The End?
Enfin, en bas à gauche, il s'agit de toutes les startups dont l'essor reposait sur un marché du capital-risque généreux et sur des consommateurs et des entreprises se comportant comme ils l'ont fait au cours des cinq dernières années. Leur raison d’être a peut-être été balayée par le coronavirus. Ils peuvent parier sur un rebond après l'épidémie, mais n'étant pas très solides face aux secousses, c'est un pari risqué.
Pour prendre les meilleures décisions et identifier les actions appropriées, les fondateurs de startups doivent prendre en compte leur position sur cette matrice. Il y a des opportunités à saisir et des risques à maîtriser.
Dans le prochain épisode, on parlera du futur des très très grandes startups -les licornes- après la crise. A très bientôt ! ?