Le Divorce d'Intel et Apple
Apple vient de prendre la décision d’abandonner son partenariat de 14 ans avec Intel. Dit autrement, la firme va désormais progressivement utiliser ses propres processeurs dans ses Macs, et ne plus dépendre des puces d’Intel. C’est la fin d’un des partenariats les plus emblématiques de la tech, qui montre la détermination d’Apple à prendre davantage le contrôle de la fabrication de ses produits. Analyse.
Les fortes marges d’Apple
Imaginez que vous êtes la plus grande entreprise au monde en termes de capitalisation boursière, et que vous avez réussi à capturer presque toute la valeur de votre value chain. Que faites-vous ensuite ?
Vous essayez de retirer le “presque” de cette dernière phrase.
C’est exactement ce que fait Apple pour ne plus être dépendant des puces Intel du Mac, et introduire à la place sa propre gamme de microprocesseurs.
La chaîne de valeur du Mac est une véritable machine à cash. Elle tourne avec une marge brute de 19%, ce qui est complètement indécent si on la compare par exemple à celle de Dell, estimée à 4%.
Ensuite, MacOS lui permet de vendre des services natifs comme le stockage iCloud ou Apple Music à des marges encore plus élevées, allant jusqu’à 60%.
Enfin, le business model d’Apple lui permet de capturer une grande partie de la valeur de son App Store. La société récupère 30% de tout achat d’application, et même de tout achat in-app, et n’hésite pas à bannir les applications qui essaient de contourner cette règle en faisant payer leurs utilisateurs depuis un site web dédié par exemple.
Mais il demeurait jusque-là une verticale critique et coûteuse, dont Apple n’avait pas le contrôle : celle des microprocesseurs. Dans ce domaine, Apple avait besoin d’Intel pour équiper ses Macs.
Quand on regarde l’ensemble de la chaîne de valeur du Mac, cette situation n’apparaît pas seulement comme inefficace et coûteuse, mais semble même aller à l’encontre de l’âme de l’entreprise.
Le développement et la fabrication de processeurs est extrêmement coûteux, et requiert des investissements initiaux très élevés. Heureusement pour elle, Apple est une entreprise qui baigne dans le cash, avec près de 200 milliards de liquidités prêtes à être injectées.
La société est donc très bien placée pour s’attaquer à ce pan de sa chaîne de valeur, et produire ses propres puces comme c’est déjà le cas pour les iPhones.
Maîtriser la chaîne de valeur
En fait, Apple travaille depuis des années sur la conception de ses propres puces pour remplacer les microprocesseurs Intel.
En 2008, la société avait déjà rassemblé une équipe de designers de puces, s’appuyant sur le rachat d’une startup de 150 employés, PA Semi. Dont un grand nombre des employés ont déjà travaillé chez Intel, y compris Johny Srouji, qui rend compte directement à Tim Cook, le CEO d’Apple.
Toutes ces décisions témoignent de la détermination croissante des Big Tech à étendre leurs capacités et à réduire leur dépendance à l’égard des principaux partenaires qui leur fournissent des services depuis des années. Quand les géants du web déploient leurs stratégies tentaculaires, un partenariat de 14 ans peut très vite voler en éclats.
Facebook, par exemple, est en train d’investir des milliards de dollars dans l’une des applications indonésiennes les plus populaires (l’application d’e-commerce Gojek), ou dans le géant des télécommunications en Inde (Jio). Avec son projet 2Africa, Facebook veut même encercler entièrement l’Afrique avec un câble Internet sous-marin de 37 000 km.
Amazon développe sa propre flotte d’avions-cargos et de camions de livraison pour se réapproprier l’activité de transport de sa chaîne de valeur. Et Google et Apple continuent de faire l’acquisition de nouvelles startups pour étendre leurs empires. La crise du coronavirus va même probablement accentuer cette tendance.
Concernant les microprocesseurs, Apple n’est pas la seule à s’y être mis. D’autres géants de la tech comme Amazon et Google conçoivent déjà certaines de leurs propres puces, à la fois pour des raisons de performance et de coût.
Certaines tâches, comme l’intelligence artificielle et le rendu d’images 3D, peuvent être traitées plus efficacement avec des puces spécialisées, plutôt que les microprocesseurs à usage général qui sont la marque de fabrique d’Intel.
Dans ce cadre, Google travaillerait actuellement pour développer ses propres processeurs dédiés à sa gamme de smartphones Pixel lancés en 2016. Ils étaient jusque-là équipés avec du matériel de Qualcomm. A terme, les Chromebook pourraient également utiliser des processeurs développés par Google.
Quel impact sur Intel ?
L’impact financier de cette décision sur Intel est important, mais ne constitue par forcément un point de bascule.
Intel vend à Apple environ 3,4 milliards de dollars de puces pour Mac chaque année. Cela représente moins de 5% des ventes annuelles d’Intel.
Si Apple ne change de puce que sur certains modèles de Mac (ou tout du moins au début), l’impact sur Intel serait d’autant plus atténué.
Il faut remettre les choses en perspective. Apple vend près de 20 millions de Mac chaque année. C’est encore très marginal face au nombre total d’ordinateurs vendus dans le monde : 260 millions par an.
Intel fournit les puces de l’écrasante majorité de ces PC. C’est le numéro 1, et cette situation ne va pas directement bousculer son leadership.
Néanmoins, la perte du marché d’Apple reste un coup dur de plus. Surtout qu’elle intervient après celle des modems 5G des futurs iPhone au profit de Qualcomm. Dans deux ans, Intel ne fournira plus aucun composant à la firme à la pomme.
Si on ajoute à cela le retard pris dans la course de la loi de Moore face à TSMC et Samsung Foundry, et la montée de la concurrence d’AMD, Intel s’apprête à vivre des années parmi les plus critiques de son histoire.
La transition du Mac vers la puce Apple a désormais débuté afin de permettre à tous les produits Apple de bénéficier d’une architecture commune.
Apple a poussé plus loin encore son ambition de contrôler ses produits de bout en bout, et de maîtriser l’intégration du matériel et du logiciel.
Ce faisait, la société se donne les moyens de s’assurer un futur plus indépendant et autonome. C’est une tendance de fond chez les Big Tech.
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