La Guerre du Streaming : Netflix, Amazon, Disney, Apple, YouTube, Comcast, HBO
Faut-il investir dans le streaming ?
Le 9 juillet 2019, Netflix annonçait dans un tweet que la série phare Friends ne serait plus disponible sur sa plateforme. La série est sortie en Janvier 2020 du catalogue US de Netflix pour rejoindre la plateforme HBO Max.
Netflix avait déjà déboursé 100 millions de dollars en 2015 pour obtenir les droits de Friends sur sa plateforme. Et ce n'est pas la seule série dont le numéro un mondial du streaming vidéo a perdu les droits de diffusion.
Les séries The Office ou South Park empruntent le même chemin, et cette fuite de contenus à succès pourrait se poursuivre. Nous sommes en train de vivre les prémisses de la guerre du streaming.
Mais avant de rentrer dans le cœur du sujet, et de présenter les forces et les faiblesses de chaque entreprise sur le champ de bataille, faisons un rapide arrêt sur la situation du streaming dans le monde.
Le streaming vidéo en pleine forme
Il y a dix ans, en 2010, des dizaines de millions de personnes utilisaient déjà des services de streaming. En 2018, ce nombre a dépassé le milliard pour la toute première fois. Quant à cette année, les revenus liés au streaming devraient battre un nouveau record et approcher les 27 milliards de dollars.
Prévisions de la croissance des revenus et des abonnés des services de streaming
Comment expliquer la croissance du streaming ?
Il y a un certain nombre de raisons pour lesquelles le streaming vidéo a explosé en popularité au cours des dix dernières années.
1️⃣ Internet est devenu plus rapide et capable de supporter du flux vidéo continu de très haute qualité. En 2000, je laissais mon ordinateur allumé toute la nuit pour qu'il puisse mobiliser le maximum de ma bande passante et ainsi télécharger les films que je voulais regarder. Aujourd'hui, quand je veux regarder un documentaire sur Netflix, le temps de chargement est de 2 secondes. Streamer est donc devenu aussi simple que regarder la télévision, et cette avancée est bien évidemment catalysée par l'essor du cloud computing.
2️⃣ Les gens se sont habitués à regarder du contenu au moment qui leur convient, plutôt que devoir se plier aux programmes établis par les chaines de télévision. La vidéo à la demande (VOD) est en train de prendre le pas sur la télévision programmée.
3️⃣ Auparavant, pour regarder du contenu, il fallait être assis devant son téléviseur. Aujourd'hui, avec l'essor du mobile, les gens consomment une quantité croissante de contenu vidéo loin du téléviseur, sur leurs smartphones et sur leurs tablettes. Ils peuvent donc streamer du contenu durant des tranches horaires qui étaient autrefois peu propices à cela (comme un trajet en métro). Et cela est particulièrement vrai chez les jeunes générations.
4️⃣ Tous les réseaux sociaux ont intégré la vidéo, et de plus en plus de temps est consacré à regarder des vidéos sur ces plateformes.
Quelles sont les perspectives du marché du streaming ?
L'industrie du streaming vidéo à la demande est bien établie mais elle n'en est encore qu'à ses débuts. Seulement 15% du marché mondial a été pénétré et les revenus annuels de l'industrie devraient augmenter de 15% d'ici à 2023. Mais l'industrie connaîtra des changements drastiques au cours des cinq prochaines années.
Premièrement, la concurrence s'intensifie. Il n'y a eu jusqu'à présent que deux acteurs majeurs sur la scène mondiale : Netflix et Amazon. Netflix est confortablement devenu le leader du marché, avec plus de 158 millions d'abonnés dans 190 pays. Suit ensuite Amazon avec 100 millions d'abonnés.
Mais une nouvelle concurrence redoutable est entrée sur le marché. Disney et Apple veulent leur part du gâteau, et ont récemment lancé leurs propres services d'abonnement. Et lorsqu'on ajoute au tableau les autres acteurs en lice pour la part de marché (Alphabet, Comcast et AT&T), on comprend clairement les craintes croissantes concernant la position de Netflix.
Les acteurs majeurs de la guerre du streaming
Qui sortira vainqueur de la guerre du streaming ?
Le but de cet épisode est de réaliser un tour d'horizon des acteurs majeurs du streaming, et de mettre en évidence leurs forces et leurs faiblesses dans la course effrénée aux abonnés.
Netflix : défendre son leadership
Je me déjà suis penché sur le cas Netflix dans AL007 et AL008. Netflix est celui qui a le plus à perdre face à de nouveaux concurrents de renom, mais c'est également le mieux placé pour les affronter. Il investit deux fois plus que quiconque dans la production de contenu, et a atteint une présence globale en plus d'être rentable. Netflix a enregistré un bénéfice avant impôts de 2 milliard de dollars durant 2019.
La principale préoccupation pour le géant est la croissance. Netflix avait déjà connu une croissance lente, et ce avant même que Disney et Apple n'entrent dans la mêlée. Il a manqué son objectif de croissance du nombre d'abonnés pendant deux trimestres consécutifs et a annoncé début 2019 la première baisse de sa clientèle américaine. Comme nous l'avons vu dans un épisode précédent, le marché américain représente près de 40% des abonnés de Netflix, mais l'essentiel de la croissance provient des marchés internationaux.
La croissance restera donc une préoccupation maintenant que la concurrence est passée à la vitesse supérieure, et les investisseurs pourront mieux évaluer les services de streaming en les comparant entre eux. Des sondages ont montré qu'il est possible que les consommateurs paient jusqu'à deux services de streaming en parallèle, et si c'est le cas, il y a de grandes chances que Netflix figure dans le duo gagnant.
Amazon : bien plus que Prime Video
Contrairement à son principal concurrent, Amazon mène plusieurs batailles dans plusieurs industries, et le streaming n'est pas du tout son cœur de métier.
Malgré cela, Amazon compte désormais 150 millions d'abonnés à son offre Prime, qui inclut sa plateforme de SVOD, Prime Video. C'est donc presque autant que Netflix.
Mais Prime Video est considérée comme une offre « bonus », que ce soit par les clients ou par le géant américain lui-même. Elle est, certes, intéressante, mais la majorité des clients Prime sont avant tout abonnés pour profiter des avantages de livraison. Je suis moi-même abonné Prime, et je n'ai pourtant jamais regardé de film sur Prime Video.
Si on omet parfois de compter Amazon parmi les concurrents sérieux de Netflix, son offre a pourtant toutes les cartes en main pour continuer de grossir. Bien que Prime offre une bibliothèque plus restreinte et moins de titres originaux, Amazon privilégie la qualité et est moins enclin à produire un flux constant de contenu comme Netflix.
Prime Video permet également aux utilisateurs de louer ou d'acheter des titres supplémentaires qui ne sont pas inclus dans le service, ou de passer par Amazon Channels pour accéder à un service de chaînes payantes à la carte. Cela permet à Amazon de diffuser les sports en direct, comme les très populaires matchs de NFL, une offre que Netflix n'a pas encore exploité.
Il est également important de préciser qu'Amazon est le plus gros fournisseur de puissance de calcul, élément vital pour fournir des services de streaming. En fait, Netflix utilise Amazon Web Services (AWS) pour son infrastructure et la facture est très salée.
Selon Intricately, Netflix reverse à Amazon 10 millions de dollars par mois pour ses services cloud. En fin de compte, le streaming vidéo n'est qu'un des nombreux tentacules d'Amazon. Sa capacité à offrir bien plus que du contenu vidéo pour attirer les abonnés Prime ira en sa faveur, et de part la diversité de ses produits, il ne subira pas la même pression que les autres services à se développer.
Disney : catalogue à succès et puissance cinématographique
Disney est le nouveau prétendant au titre. Il est considéré comme celui avec le plus gros potentiel de perturber le marché actuel avec son nouveau service Disney+.
La société abrite des franchises de renommée mondiale qui attireront sans aucun doute des abonnés, notamment les films de super-héros Marvel, la saga Star Wars et les films d'animation Pixar. Il possède également plusieurs diffuseurs populaires comme ABC, National Geographic et ESPN, ce qui donne énormément de diversité à son contenu.
Bien que les investisseurs placent leurs espoirs dans Disney+, il s’agit en fait du quatrième service de streaming vidéo dans le portefeuille de la société. L'autre grand acteur est Hulu, qui s'est fait un nom avec des succès comme The Handmaid’s Tale et pour ses services de streaming en direct.
Disney possédait Hulu aux côtés de Comcast et AT&T avant qu'elle n'en prenne progressivement le contrôle total. La société propose désormais un bundle avec Disney+, Hulu et son service spécialisé dans le sport ESPN+. Le quatrième acteur est Hotstar, rien de moins que le service de streaming le plus utilisé en Inde.
Disney a été applaudi pour avoir repris le contrôle sur son contenu et en avoir tiré le meilleur parti. Les espoirs sont grands : Disney+ compte déjà plus de 10 millions d'abonnés, et la société a déclaré que la demande initiale pour son nouveau service « dépassait leurs attentes les plus élevées ».
En effet, Disney+ est devenue l'application la plus téléchargée aux US lors du dernier trimestre de 2019. Elle a même été téléchargée deux fois plus que TikTok. Le service n'a été lancé jusqu'à présent que dans quelques pays, mais prévoit de se déployer à l'échelle mondiale au cours des deux prochaines années (le 24 Mars 2020 en France).
La tâche principale consistera à démontrer que Disney+ peut vraiment rivaliser avec Netflix. Disney devrait connaître une croissance plus rapide au cours des prochaines années par rapport à Netflix à mesure qu'il s'installe dans de nouveaux territoires.
Bien qu'il soit possible que Netflix et Disney continuent tous les deux à attirer des abonnés, si l'un commence à perdre des abonnés tandis que l'autre grandit, les investisseurs agiront en conséquence.
Apple : énorme base de clients et liquide à la banque
Apple a lancé son nouveau service de streaming, Apple TV+, en novembre 2019. La plus grande force de l'entreprise est sa portée et sa clientèle déjà existante. Il y a plus de 700 millions d'utilisateurs d'iPhone actifs à eux seuls, et Apple peut immédiatement puiser dans cette vaste base de clients.
D'ailleurs, la firme offre déjà Apple TV+ gratuitement pendant un an à tous ceux qui achètent un nouvel iPhone. Apple est donc susceptible d'utiliser la même stratégie que celle employée pour Apple Music, qui est devenu le service de musique préféré des utilisateurs d'iPhone.
L'Apple TV+ est une grande partie de l'offensive d'Apple dans le domaine des services. Les gens attendent de plus en plus longtemps avant de changer leurs smartphones, et le cœur de métier de l'entreprise autour du hardware est en déclin. Cela explique sa volonté de vendre davantage de services numériques à plus forte marge.
Les revenus issus des services d'Apple se sont élevés à 50 milliards de dollars. De nombreux investisseurs s’attendront à ce que ces revenus prennent encore plus d'ampleur maintenant que l’Apple TV+ a été lancée, et espèrent également que cette offre va améliorer les marges de l’entreprise.
Mais bien qu'Apple ait plus d'argent qu'il ne sait quoi en faire, il ne suivra pas le rythme effréné de Netflix dans la production de contenu exclusif. Sa bibliothèque sera beaucoup plus petite, mais son offre sera aussi la moins chère du marché.
S'il y a une pression sur Apple pour réussir dans le streaming vidéo, il est peu probable qu'il en devienne le numéro un. Au lieu de cela, il est susceptible d'être un service secondaire très populaire pour les utilisateurs déjà conquis à Apple.
Alphabet : YouTube consomme la plupart de notre temps de visionnage
Bien que YouTube ne soit pas considéré comme un concurrent direct des services de streaming traditionnels, il est un acteur majeur du marché et devrait inquiéter tout le monde. Dans presque toutes les grandes économies mondiales (à l'exception de la Chine), les gens passent plus de temps sur YouTube que sur tout autre site de streaming vidéo.
YouTube est en grande partie un service gratuit et sa plus grande force est que ce sont ses utilisateurs qui génèrent du contenu. Cela signifie que Google n'a pas à débourser des milliards pour produire du contenu exclusif et séduire son audience.
Pourtant, YouTube a évolué. Tout d'abord, il y a YouTube Premium, qui permet aux utilisateurs de profiter de la vidéo et de la musique sans publicité. Et il y a YouTube TV ($49,99/mois), qui permet aux utilisateurs de diffuser plus de 70 chaînes de télévision en direct, ciblant tous ceux qui cherchent à couper le cordon de leur fournisseur de câble traditionnel.
YouTube est toujours principalement une entreprise axée sur la publicité et ne rivalisera donc pas de la même manière que Netflix, Amazon, Disney ou Apple. Mais nos journées étant limitées, YouTube est un vrai danger dans la bataille de l'attention, car il capte la nôtre avec beaucoup de succès en ce moment. Il faut donc compter avec lui.
Comcast : Xfinity et NowTV
Comcast est le plus grand fournisseur de télévision par câble et d'Internet aux États-Unis, ce qui signifie que la nécessité de lancer une offensive dans le streaming est plus urgente étant donné l'augmentation du taux de désabonnement à la télévision. Au premier semestre 2019, 1,53 million d'abonnés à la télévision payante aux Etats-Unis ont mis fin à leur souscription.
Comcast a récemment lancé Xfinity Stream, qui permet aux abonnés de diffuser la télévision en direct et de regarder des émissions à la demande. Il dispose également de Xfinity Flex, un « tableau de bord de streaming personnalisé » qui permet aux utilisateurs de regarder son propre contenu, mais également d'accéder à des services concurrents tels que Netflix, Prime Video et HBO.
Les gens ont toujours besoin d’abonnements pour accéder aux sites concurrents, mais le point principal est que Comcast agit comme point d’accès et permet aux gens d’utiliser plusieurs services sous un même toit : celui de Comcast.
Par ailleurs, Comcast a hérité de NowTV, un service de SVOD européen, et possède également NBCUniversal, un conglomérat de médias de divertissement et d'actualités.
Bientôt, Comcast devrait lancer un nouveau service de streaming nommé Peacock, qui exploitera les films d'une autre arme de son arsenal : Universal Pictures.
Peacock semble vouloir proposer un pricing flexible, avec une offre gratuite mais avec de la publicité (AVOD), et des offres payantes avec du contenu exclusif comme la série « The Office » qui sera retirée de Netflix en 2021.
L'offre de la nouvelle plateforme Peacock
AT&T : Une avalanche de contenus avec HBO Max
Le dernier challenger que je voulais mentionner est AT&T, un autre grand fournisseur américain de services Internet et de télévision. AT&T lancera HBO Max en mai 2020.
HBO Max proposera tout South Park - et ses trois prochaines saisons, The Big Bang Theory, Friends ou encore les sagas Batman, Matrix et Le Seigneur des anneaux. En outre, tout le catalogue des studios japonais Ghibli, jusqu'ici absents des plateformes de streaming, y sera disponible.
La plateforme est aussi susceptible de s'approvisionner en contenu d'une autre partie de l'arsenal d'AT&T : WarnerMedia, qui a été renommé ainsi après que la société a acheté Time Warner en 2018.
HBO Max privilégiera des séries de qualité et une stratégie de sortie hebdomadaire pour ses séries originales, afin de contrer la tendance du binge-watching amenée par Netflix et de fidéliser ses abonnés.
AT&T a déclaré qu'il visait entre 125 et 140 millions d'abonnés aux États-Unis, en Amérique du Sud et en Europe d'ici la fin de 2025.
Le portfolio d'AT&T
Vers une consolidation des offres ?
Les prochaines années seront très compétitives. Le nombre et l'envergure des nouveaux services lancés offriront aux consommateurs plus de choix que jamais, et ils devront décider de ce qu'ils veulent vraiment d'un service de streaming.
Attendez-vous à ce que la rivalité soit féroce à court terme. Tous les acteurs multiplient les investissements dans le contenu original et reprennent pour leur compte les programmes dont il ont les droits.
La plupart des nouveaux entrants ont d'énormes leviers à tirer, que ce soit la portée mondiale instantanée d'Apple et d'Amazon ou le contenu primé de Disney et des câblo-distributeurs américains. Et aucun d'entre eux ne manque d'argent.
L'objectif principal pour la plupart sera de capturer le plus grand nombre d'abonnés possible pour démontrer la demande et la supériorité de leur service. On s'attend à ce que les gens soient prêts à souscrire à un ou deux services à l'avenir, et chaque service voudra être en lice.
Tous ces services ne survivront pas et il y aura un bouleversement au cours des prochaines années. La croissance ralentira et la montée de la concurrence exercera une pression sur les prix et les marges. Le marché risque également de devenir saturé avec une offre de choix aussi conséquente.
À plus long terme, la concurrence pourrait rapidement se transformer en consolidation. Certains services ont déjà été regroupés en bundles, et les acteurs du streaming pourront montrer une plus grande volonté de coopérer à l'avenir si le marché s'avère plus difficile que prévu.
Faut-il investir dans le streaming ?
En attendant, il y a beaucoup d'opportunités pour les investisseurs. C'est le moment idéal pour quiconque cherche à investir dans le marché du streaming vidéo, car la plupart des services viennent juste d'être lancés et n'ont pas encore fait leurs preuves - fournissant un catalyseur potentiel pour les cours des actions de Disney et Apple dans un avenir proche.
Les traders surveilleront également de près Netflix au cours des prochains trimestres pour voir comment ses nouveaux rivaux ont affecté l'entreprise. Toute faiblesse du leader du marché au cours de l'année prochaine provoquera une réaction négative sévère pour les actions Netflix.
Si ce-dernier est l'acteur qui a le plus à perdre, la plus grande charge de travail incombe à Amazon, Disney, Apple et à tous les autres nouveaux entrants que nous avons mentionné ici ou pas.
Et ceux qui n'ont pas été mentionnés n'en demeurent pas moins nombreux : BET Plus, CBS, Cinemax, History Vault, PBS Passport, Showtime, Starz, Sundance Now, Britbox et une flopée d'acteurs locaux et de niche.
Après 3 épisodes sur le streaming, Afterlife Labs va ouvrir une nouvelle rubrique la semaine prochaine. Elle se nomme Models, et son but sera de vous livrer des cadres et des outils pour envisager le monde, développer une grille de lecture et prendre des décisions d'investissement. À bientôt !