La « Guerre des Cafés » en Chine
Les enseignes de café sont en train de se livrer une guerre sans merci en Chine. Quelle est la stratégie de Starbucks et Luckin Coffee en Chine ? Comment adapter ses offres au marché local ?
La consommation de café en Chine a considérablement augmenté au cours de la dernière décennie. Avec 100 000 cafés ouverts en Chine, les experts pensent que le marché dans les grandes villes pourrait bientôt être saturé, et que la bataille pour séduire les consommateurs se déroulera désormais dans les petites villes.
Lorsque Starbucks a ouvert son premier coffee shop à Pékin en 1999, ses chances de succès semblaient très minces. Près de vingt ans plus tard, Starbucks détient une part de 58% d’un marché estimé à plus d’un milliard de dollars, avec ses 4300 points de vente dans 180 villes de Chine.
Mais aujourd’hui, Starbucks est loin d’être seul sur le territoire chinois, puisque Costa Coffee, McCafé ou même le coréen Paris Baguette y ont ouvert des milliers de nouveaux emplacements.
Il y a aussi la concurrence de nouvelles enseignes locales telles que Luckin Coffee, une startup aux prix très agressifs, qui a connu une folle croissance avant de complètement s’écrouler, et dont on parlera lors du prochain épisode [AL023]. Et puis des chaînes plus petites et des cafés indépendants émergent également dans les grandes villes chinoises.
Le marché devrait normalement continuer de croître, avec des consommateurs prêts à payer plus cher pour du torréfié de meilleure qualité. Suite à de nombreux investissements, la Chine est même désormais le neuvième producteur mondial d’arabica. Une guerre du café est en train de se développer dans tout le pays, et les petites villes pourraient, tout comme leurs aînées, attraper aussi la fièvre du café.
Comment Starbucks Séduit la Chine
La localisation est un facteur critique du succès ou de l’échec des entreprises étrangères en Chine.
Yum! Brands, le leader mondial de la restauration rapide derrière Pizza Hut, KFC et Taco Bell l’a très bien compris. La société a prospéré en Chine en ajoutant des produits chinois comme les crevettes frites ou le lait de soja à ses menus KFC, ou du riz sauté à la thaï à ses menus Pizza Hut.
Pendant ce temps, les entreprises qui n’ont pas saisi les codes locaux, qui ont simplement importé leurs modèles étrangers, ont connu beaucoup de difficultés. Home Depot a fermé ses 7 grands magasins en Chine après des années de pertes. Il n’avait pas réussit à comprendre que son modèle Do-It-Yourself (DIY) n’était pas du tout aligné avec le modèle culturel chinois du Do-It-For-Me (DIFM).
Starbucks fait tout pour éviter de se retrouver dans la situation de Home Depot, et emprunter la voie de Yum! Brands. L’entreprise a récemment embauché des graffeurs locaux pour redécorer l’un de ses plus anciens cafés pékinois, situé au Sanlitun Village, un quartier commerçant qui, comme le Soho de New York, attire les jeunes et les riches, et fait émerger les nouvelles tendances. Il s’agit de rendre stylé Starbucks au yeux des chinois.
Starbucks se rend également compte qu’en Chine, les attentes des familles auront un impact important sur son succès. Les parents chinois préfèrent que leurs enfants travaillent derrière un guichet de banque plutôt que derrière une machine à latte. Alors pour retenir ses employés, Starbucks organise des forums familiaux et invite les parents à écouter les témoignages de managers qui ont gravi les échelons au sein de l’entreprise.
Pour répondre aux attentes spécifiques des chinois, Starbucks investit également dans le digital. La société a une forte présence sur tous les réseaux sociaux chinois, avec une stratégie adaptée à chaque canal. Elle s’est liée à Alibaba Group pour le lancement de son nouveau Starbucks Virtual Store. Cette boutique en ligne permet aux consommateurs de commander leurs boissons et de gérer leur compte depuis plusieurs applications mobiles du groupe Alibaba. Il s’agit d’unifier l’expérience utilisateur à travers Taobao, Alipay, Tmall ainsi que l’application Starbucks elle-même.
La nouvelle boutique virtuelle Starbucks permet aux clients d’offrir des cadeaux à leurs amis, d’acheter des goodies Starbucks qui sont extrêmement populaires en Chine, ou de profiter du programme de fidélité de la marque.
Même si Starbucks a réussit en Chine, et se donne les moyens de s’adapter à la culture locale sans trahir sa marque, l’entreprise fait face à des défis de taille. Le Costa Coffee anglais, le Paris Baguette coréen ou le Luckin Coffee local sont tous en train de se développer à grande vitesse en Chine. Toutes ces sociétés veulent non seulement augmenter leur part de marché, mais sont également en train de se livrer une bataille sans merci pour décrocher les meilleurs emplacements immobiliers et recruter les meilleurs gérants de coffee shops.
Développer le Meilleur Système de Livraison
La guerre des cafés en Chine passe également par la bataille de la livraison. Starbucks, la startup locale Luckin Coffee et même McDonald’s sont en train de se livrer une guerre pour développer le meilleur système de livraison capable de répondre à la frénésie du marché chinois.
Cette course montre à quel point la livraison à la demande est devenue critique pour les entreprises occidentales implantées en Chine. Dans les villes densément peuplées, les consommateurs chinois se sont habitués à commander leurs repas et à se les faire livrer très rapidement.
Il est très fréquent de voir des dizaines de commandes arriver au même moment dans un immeuble résidentiel ou d’affaires. A tel point que des robots prennent maintenant le relai en transportant les commandes des halls d’immeubles à leurs destinataires finaux, pour éviter de bonder les ascenseurs.
Au cours de ses deux décennies d’activité en Chine, Starbucks s’est concentré sur les consommateurs les plus fortunés du pays, en ouvrant des milliers de coffee shops bien aménagés, où les clients peuvent s’attabler et passer un moment sympa sur place. La livraison n’est qu’un ajout récent à l’arsenal de l’enseigne, pour tenter de rattraper son retard face à son rival local, Luckin Coffee.
Auparavant, des entités non officielles se chargeaient d’assurer la livraison. Mais pour mieux maîtriser sa chaîne de valeur [AL020], Starbucks s’est associé en août 2018 à Ele.me, la plateforme de livraison de repas d’Alibaba. Avant d’en arriver là, le géant du café avait passé près de deux ans à développer des couvercles et des emballages spéciaux pour protéger les boissons contre les renversements et leur éviter de refroidir durant le trajet.
Quant à Luckin, la société a intégré dès le départ la livraison à ses services. Deux ans après sa fondation en octobre 2017, Luckin était évaluée à 12 milliards de dollars et a ouvert +4500 points de vente proposant principalement la livraison ou la collecte sur place. Le tout à quelques mètres seulement d’un café Starbucks.
Luckin savait que Starbucks avait bien fait ses devoirs, et qu’elle avait étudié et choisi les meilleurs emplacements avec le maximum de demande et de bande passante. Il lui suffisait de copier son adversaire et venir s’accaparer des parts de marché.
À Pékin, il y a désormais plus de cafés Luckin que de cafés Starbucks. Les deux enseignes garantissent une livraison dans la demie-heure dans les grandes villes chinoises, et prévoient d’ouvrir des centaines, voire des milliers de nouveaux cafés en Chine.
Un Pari Encore Très Risqué ?
La guerre des cafés reste un pari très risqué, étant donné que la Chine est encore en train de développer un goût pour le café. La consommation annuelle de café par habitant est d’environ 5 à 6 tasses. Pour mettre les choses en perspective, un américain consomme plus de 300 tasses chaque année.
À Pékin, un Americano de 500 mL coûte 37 yuans (5,52 $) pour se le faire livrer par Starbucks et 27 yuans (4,02 $) pour se le faire livrer par Luckin. Les commandes Starbucks incluent un supplément de 9 yuans (1,34 $) pour Ele.me, qui s’occupe de la livraison. Et les commandes de Luckin incluent des frais de 6 yuans (0,89 $) pour son partenaire de livraison, SF Express. Ces entreprises de livraison facturent 1 dollar en moyenne à Starbucks et Luckin.
Assurer le transport au consommateur n’est pas une mince affaire non plus, dans une ville comme Pékin, où le café est livré en scooter. Les chauffeurs-livreurs font face à un trafic déjanté, et se dribblent continuellement dans les halls d’immeubles.
Chaque commande Starbucks nécessite de sceller la boisson avec un couvercle anti-éclaboussures spécial, en plus d’un sac de livraison qui prouve au client que sa boisson n’a pas été touchée, ce qui augmente le coût unitaire d’un café.
La consommation de tasses de café dans le monde
Néanmoins, face à ces différents challenges à relever, la croissance de la consommation de café est une tendance solide. Au Japon et en Corée du Sud, où le thé est la boisson traditionnelle, le café a réussi à percer, au point que ses habitants en boivent désormais 300 tasses par an. C’est-à-dire autant qu’aux Etats-Unis.
Dans ce contexte, le potentiel de croissance reste très élevé pour toutes les enseignes sur le champ de bataille. La Chine représente le deuxième marché de Starbucks après les États-Unis, et la marque à la sirène tente de contrer l’ascension éclair de Luckin en musclant ses livraisons de produits. Coup de chance pour Starbucks, son jeune rival connaît les mois les plus sombres de son existence, et c’est justement le sujet du prochain épisode. A bientôt !
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