Diplomatie culinaire : McDonald’s en Russie 🍔
Les premiers pas de McDonald’s en Russie et la charge symbolique des sanctions
Bonjour à tous ! 👋 La récente fermeture des restaurants McDonald’s en Russie, ainsi que la suspension des activités de 300 autres grandes entreprises dans le pays, sont chargées de symbolisme. Je rebondis sur ces événements pour partager avec vous des anecdotes du livre “To Russia With Fries”, écrit par George Cohon et préfacé par Mikhail Gorbatchev lui-même !
Précédemment :
Le Brief Crypto #4 — La finance décentralisée 2.0
Afterlife Labs #44 — Notes sur la Russie
McDonald’s ferme ses restaurants en Russie
Tout juste après l’interdiction des États-Unis d’importer le pétrole russe, McDonald's a fermé temporairement ses 850 établissements en Russie, qui représentent 10% de ses ventes globales.
En tout, ce sont plus de 300 entreprises qui se sont retirées de la Russie pour condamner l'invasion de l'Ukraine. McDonald’s et les autres groupes qui ne s'étaient jusque là pas prononcés sur le sujet faisaient face à une pression croissante des gouvernements et des internautes (#BoycottMcDonalds).
Si cela a pris autant de temps, c’est parce que les opérations de restauration rapide sont complexes et font vivre des milliers de personnes. Il faut négocier avec les fournisseurs, les employés, les banques, les assureurs. De plus, les chaînes ne sont généralement pas propriétaires de leurs restaurants : elles vendent les droits à des franchisés. La plupart des établissements Starbucks, Papa John’s, KFC et Pizza Hut en Russie appartiennent à des franchisés, ce qui limite la capacité de ces entreprises à réduire leurs opérations.
Quant à McDo, si la plupart de ses restaurants dans le monde sont franchisés, 84% des restaurants russes appartiennent à la société McDonald’s elle-même, lui laissant ainsi une grande marge de manœuvre. La société avait d’ailleurs vendu 15% de ceux-ci à des franchisés après l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014.
Les grandes entreprises de la tech ont été parmi les premières à quitter la Russie, en partie parce qu'il est plus facile d’arrêter des serveurs que de fermer des restaurants. Netflix, TikTok et PayPal ont tous suspendu leurs services, et Apple et Microsoft interrompu leurs ventes.
Diplomatie culinaire
En 1990, le grand M jaune était pourtant l’un des symboles de l’ouverture de la Russie à l’Occident sous l’ère Gorbatchev.
En raison de la bureaucratie interminable (l'ouverture d'un seul McDonald's en Russie nécessitait apparemment 200 signatures de fonctionnaires locaux), il a fallu 14 ans à George Cohon, président de McDonald's Canada, pour lancer le tout premier fast-food de l'ancienne Union soviétique. Pour l’occasion, il s'est assuré de bien faire les choses. Il a construit le plus grand McDonald's de l'époque : 2000 mètres carrés et des places assises pour 700 clients.
Près de 40 000 personnes ont fait la queue au restaurant de la place Pouchkine à Moscou le jour de son ouverture, un symbole du triomphe du capitalisme sur le communisme. Le magasin a vendu 34k hamburgers ce jour-là, pulvérisant le précédent record de 9k.
Dès le début, le McDonald's de Moscou a accepté les roubles, ce qui l’a rendu encore plus attrayant pour les Russes. Car à l’époque, la plupart des produits importés de qualité étaient vendus uniquement en devises étrangères.
Mais McDonald's a fait plus qu'ouvrir des restaurants en Russie. La société a construit toute une infrastructure pour fournir des produits et des ingrédients au nombre croissant de points de vente de la chaîne. Cette démarche était à la fois pratique et nécessaire.
D’une part, le rouble étant difficile à convertir en devises étrangères, il était logique pour McDonald's de réinvestir l’argent généré à l'intérieur même du pays. D’autre part, la Russie étant connue pour ses pénuries chroniques, la société a décidé de construire ses propres usines dans le pays pour traiter la viande, produire des sauces et effectuer des tests de contrôle-qualité.
McDonald's a fait venir des centaines d'experts agroalimentaires pour épauler les producteurs russes, et importé et cultivé des variétés qui n'existaient pas dans le pays. Le géant a même introduit le concept de drive-thru ainsi que le service-client à l'américaine, qui contrastait fortement à l'époque avec l'accueil assez austère des cafés et restaurants de l'ère soviétique.
Même si un Big Mac coûtait à l’époque 2 roubles (3,40 dollars), soit 1% du salaire mensuel moyen soviétique, McDonald's s'est avéré très populaire. Le groupe a donc massivement étendu sa présence en Russie dans les décennies qui ont suivi.
Compte tenu de cette histoire, il n'est pas surprenant que les Russes aient afflué chez McDonald's dans les heures qui ont précédé la fermeture des 850 restaurants de l'entreprise. Comme en 1990, les Russes ont à nouveau fait de longues files d'attente pour goûter une dernière fois au “Big Mak”.
La société McDonald’s, soucieuse de maintenir les relations qu'elle a développées en 30 ans de présence, va continuer à payer ses employés russes pendant cette période. Les liens économiques et les relations commerciales peuvent favoriser la paix, mais l'ère de la diplomatie culinaire semble révolue entre Est et Ouest.

Nous avions déjà exploré la société McDonald’s auparavant dans le cadre des opérations de buybacks des géants américains :
➡️ Afterlife Labs #24 — Le Problème Avec Les Actions McDonald’s